Le convenable

Le convenable. Un mot qui lui collait jusque dans les tripes. Elle suait le convenable jusqu'à s'écœurer. Jusqu'à vomir tous ces mondes qui grouillaient en elles et qui ne lui appartenaient pas. Fourmilière schizophrénique.
Elle ne s'était jamais aimée. Qu'importe. Elle avait fini par s'apprécier un peu, pour avoir su apprivoiser les parasites. Cohabitation résignée, et finalement cordiale.
En somme, ce qu'elle voulait, c'était la paix. À n'importe quel prix. Comme celle que l'on trouve parfois dans la première gorgée d'alcool. Qui soulage. Qui assure que l'armistice a sonné jusqu'au lendemain. Accommodement des exigences.
Lorsqu'elle était encore à Paris, elle s'amusait de voir qu'elle arrivait le plus souvent à être invisible. Pas de regard égale pas d'agression. Elle savait exactement les gestes qui rendent quelconque, inintéressant. Tranquille.
Surtout, refuser la guerre. En espérant que les conquérants passeraient leur chemin, la contourneraient.
"Pourquoi tu n'essaierais pas de devenir prof ?
- Tu es une véritable artiste, crois-moi !
- Tu t'es encore coupé les cheveux ?
- Je t'aimais mieux les cheveux courts !
Gentille, pourrie, intelligente, médiocre, boulet, généreuse, adorable, égoïste, molle, chiante, dure..." Tout est pris. Jusqu'à l'indigestion. Tout importe. Jusqu'à la tentation d'imploser. Trop de tout à refuser les guerres. Jusqu'à ce que les autres en elle se la déclarent.
Et le convenable s'agite, se boursoufle, veut se tailler un chemin vers la sortie, jusqu'à se répandre en humeur puante. Car elle ne peut plus. L'échappatoire d'alors : les mots. Le plaisir du mot cru, du mot violent, du mot qui choque, "surtout dans la bouche d'une fille"... L'échappatoire d'alors ne suffit plus. Elle peut toujours hurler, maintenant. La tumeur persiste à gonfler en elle. Elle n'en peut plus de la vomir, de la pisser, de la chier. Toujours il y en a, comme une dysenterie de bienséance.
Maintenant, elle abandonne, laisse se répandre les déjections sociales. Elle laisse faire. Quand elle sera vide, elle sera elle. Seule. Enfin.

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